L´intérêt que porte Sem à la mode date de Périgueux, sa ville natale. Jeune homme, ayant beaucoup d´argent à sa disposition et l´œil attiré par la façon d´être et de s´habiller des notabilités de la ville, il tient à être élégant. Il soigne sa tenue, il exagère même : complets extravagants, dira la famille, soin extrême à choisir ses cravates, ses gants, ses sticks, longues séances d´essayage devant l´armoire à glace. Il exagère tellement que, au cours d´un séjour à Paris et tout fier de sa mise qu´il croît être de la dernière mode, il doit fuir devant les éclats de rire des jeunes Parisiens attablés au Bullier.
Ce souvenir cuisant a certainement été une leçon. Pendant son séjour à Bordeaux, il noue des contacts avec l´Angleterre, et il découvre, avec le style de vie anglais, une certaine façon de se vêtir plus simple, plus traditionnelle.
A Paris, Deauville ou Monte-Carlo, à l´époque de ses grands albums du début du siècle, il se sait dans la société des personnes les plus élégantes de Paris, il vit au cœur de la mode et c´est ce milieu que reflètent toutes ses caricatures.
En décembre 1906, il participe pour la revue parisienne
Je sais tout à une rubrique « Élégances » sous le titre « La mode masculine », et son long article, comprenant de nombreux dessins de sa main, complète à merveille bien des détails de ses albums.
Sem n´y est plus seulement le dessinateur du snobisme mondain, il est maintenant un observateur intransigeant : « Je compris que la vraie élégance ne réside pas dans la recherche et l´excentricité, qu´elle est faite au contraire de simplicité, de confort et de logique » ou encore : « un homme élégant ne doit jamais se faire remarquer »
Londres où l’on doit se fournir
Dans son article, écrit avec humour et « fausse bonhomie (c´est le mot employé très justement par Madeleine Bonnelle dans son livre sur Sem) », il explique avec force détails comment être un homme élégant : chemise, redingote, gilet, jaquette. Il ne craint pas le ridicule, et va jusqu’aux sous-vêtements dans la description de cet élégant. Il donne le nom des magasins londoniens où « l´on doit » se fournir. On sait que non seulement il achetait ses chemises de soie à Londres, mais qu´il les y faisait repasser. À peine regrette-t-il un peu que – je cite – « le genre français, bien typé sur les scènes de théâtres londoniens par exemple, (ait) été presque entièrement aboli par le chic anglais ; [...] notre type d´élégance, plus flou que la mode anglaise [...] permettait plus de fantaisies imprévues, de coquetterie, de désinvolture et de grâce ».
Les messieurs représentés dans les caricatures de Sem comptent pour la plupart parmi les Parisiens « bien » habillés. On pourrait citer, parmi bien d´autres, Robert de Montesquiou, le comte de Gontaut-Biron, Boni de Castellane ou M. Vieil-Picard. On en voit également dans les dessins de groupes, par exemple dans un bar autour de M. Tristan Bernard ou des sportifs au Tir aux Pigeons, car il n´y a pour Sem aucune situation où l´on ne doive rester élégant. Par contre les pantalons tire-bouchonnés et trop longs du Comte de Boisgelin, ou la redingote à la taille pincée de Mr. Troubetzkoï ne trouveront guère grâce à ses yeux et « typeront » à jamais ceux qui les portent.
Sem reprendra en 1911 et 1912 pour
Le Journal de son ami Letellier une chronique sur la mode masculine qu´il appellera – déjà ! – « Le vrai et le faux chic ».
Il y explique tout d´abord son intérêt pour la mode par son souci d´observation de l´intégralité des personnes. Il écrit : « Le vêtement est l´extériorisation immédiate de l´individu, comme l´enveloppe où se moule sa personnalité [...] l´on peut presque dire que le vêtement, c´est l´homme » ou encore « De même qu´on peut lire la destinée dans les lignes de l´écriture et de la main, de même on peut déchiffrer le caractère d´une personne dans les plis, les rides de ses habits. Montrez-moi un homme ; rien qu´à la couleur et le volume de sa cravate, je pourrai vous dire si c´est un orgueilleux, un modeste ou un négligent »
Ses conseils, au long de plusieurs articles illustrés de sa main dont six portent le titre « Le vrai et le faux chic» - sont impératifs, mais il les donne de façon aimable et les agrémente de petites histoires comme celle d´un ami périgourdin, probablement fictif, qui achèterait ses costumes « select » à un M. Pouyadou Tailor. Pour ne pas décourager ses lecteurs, il n´hésite pas à rappeler soit ses erreurs, soit ses découvertes. Enfin, chose très caractéristique, il agrémente le texte d´autoportraits, où il se montre par exemple maniant de volumineux ciseaux de tailleur, ou encore, par une température estivale, ayant « tombé la veste ». Sem n´est pas un observateur lointain.
Il écrit son premier conseil malicieusement à la première personne du pluriel, s’administrant le même traitement qu’à son public.
Soyons comme il faut suivant la formule anglaise « the right man at the right place », formule qu´il dit « valable du haut en bas de l´échelle sociale ».
Ne vous habillez pas « richement », c´est à dire « plus riche ou plus select que vous ne l´êtes »
- Choisissez une coupe classique et de beaux tissus.
- N´ayez pas peur du complet veston (qu´il aime pour lui-même : il dira « le XXe siècle sera le siècle du veston ») et laissez le smoking aux Américains.
- Ne mettez pas n´importe quel vêtement à n´importe quelle heure de la journée et tenez-vous en aux habitudes traditionnelles, jamais d´habit avant midi. En 1930, pour un mariage dans sa famille, il préfèrera venir en complet marron avec chemise rose que de se mettre trop tôt en habit.
- Fuyez les soi-disant « magasins épatants » à nom anglais ainsi que les étalages des tailleurs à bon marché, tout ce qu´il appelle « les grands bazars du faux chic » : Refusez toute excentricité de col, de revers, de boutonnage, de carrure ou de taille. En matière de vêtement de sport, n´hésitez pas à imiter la manière anglaise.
Enfin, ne modifiez pas la nature : c´est toujours le corps qui, dans un essayage, doit avoir raison, et non le modèle choisi ou le patron.
En résumé - je cite : « il y a chic et chic, il y a le vrai et le faux. Il y a surtout le faux, et c´est contre ce danger que je veux d´abord mettre en garde » Sem a des jugements définitifs, mais il se justifie : « Ayant été appelé pour la composition de mes albums à observer de près les gens chic, les vrais, de Paris et de Londres, j´ai acquis à leur contact des idées justes et d´excellents renseignements sur les grands fournisseurs, les maîtres dans cet art du vêtement. Et je voudrais vous faire profiter de ces précieux tuyaux ».
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