En Juin 14, paraît le premier album d'une série Le Vrai et le Faux Chic qui imposera Sem comme l'arbitre des élégances parisiennes, suivi d’articles et de conférences confirmant l'expertise de Sem en la matière.
Le 2 août 14, la déclaration du premier conflit mondial mettra fin à ces frivolités, sonnant la fin du XIXe siècle et l'entrée en scène des canons en Europe. La parution des albums rythmée par la vie mondaine s'achève. Le cœur n'est plus au divertissement. Sem abandonne l'observation de la silhouette féminine et masculine, pour celle de la panoplie militaire.
Il quitte le front de mer pour celui de la Champagne, la Somme, Verdun : la Boue.
Au portraitiste mondain reconnu, va s'ajouter Sem l’écrivain.
Sem n'est pas mobilisable il se rendra cependant à de nombreuses reprises sur le front. Invité officiellement une première fois pour un reportage, il reconduira à de multiples reprises de sa propre initiative, sa « tournée des popotes ». Il prend résolument à coeur cette mission, tâchant de couvrir au mieux la réalité de la vie des soldats.
Ses articles paraissent dans différents journaux :
Le Journal, Les Annales, Fémina.
Ainsi, il passe en quelques semaines de la légèreté des grands de ce monde à la grande souffrance des plus modestes de ses compatriotes, confirmant un vrai talent de plume salué par le critique Vandérem : « Tout le long de la route, le peintre et l'écrivain, chacun de son côté, avaient travaillé ferme. Au retour, il fallut démêler les papiers. Ceux du premier constituèrent un album admirable que tous les amateurs se disputent. Les papiers du second formèrent des articles et les articles ce volume. […]
Mais en plus de cette franchise d'un piment si rare, ce qui surhaussait toujours davantage ses chroniques, ce qui les élevait graduellement de plusieurs crans au-dessus d'un reportage quelconque ou d'une vulgaire chose vue, c'était chez Sem, une extraordinaire faculté de communier avec les héros et les décors de l'immense tragédie en cours -un don exceptionnel de s'attendrir, de vibrer, de s'emballer à fond, que n'eusse guère soupçonné jadis, sous ses ricanements, les camarades du bar ou les jolies amies de Longchamp.»
On découvre dans ces chroniques un Sem patriote, voire cocardier, qui développe un réquisitoire définitif contre l'ennemi, notamment dans les articles « Les Boches » et « Bochoff et Cie ». Cet excès tranche avec sa retenue habituelle ; il y affirmera en revanche son anglophilie.
Sem dessinateur livrera deux albums de guerre ; le caricaturiste mondain y abandonne sa position distanciée de « portraitiste spirituel » pour une représentation réaliste. Ces albums, tout comme ceux de Naudin, Steinlein, Georges-Victor Hugo ou André Mare, témoignent de scènes de la vie des tranchées : souffrances comme petites joies.
Sem dont le patriotisme est sans réserve réalisera des portraits du Tigre et de ses généraux qui paraîtront dans la presse.
Il donnera à
La Baïonnette, une série de dessins de 1915 à 1919 ainsi qu'à
Fantasio, pour quelques almanachs et un portrait saisissant du Kronprintz dans
Le Mot.
Il n'aura pas le rôle actif d'un Forain ou d'un Dunoyer de Segonzac au front, mais il participera à sa manière à la vie artistique en temps de guerre, par ses affiches, estampes contribuant ainsi à l'effort patriotique ainsi que par la création du « Charbougnat », insigne pour l'escadrille 19 à laquelle appartenait son neveu, Jean-Marie de Saint-Martin, mort au combat.
En mai 1917, il consacrera un article à la destruction de la cathédrale de Reims, ouvrant la réflexion pour une reconstruction à laquelle chroniqueurs, dessinateurs feront écho. Là aussi Sem, qui a montré dans ses notes de carnets de voyage d’avant-guerre son intérêt pour l'architecture, s'engage avec beaucoup de sensibilité dans cette bataille.
Ainsi, son travail de dessinateur comme nombre de ses confrères s'orientera pendant ces années de guerre vers le reportage pour la presse. Il rajoutera à ses cordes celle de chroniqueur judiciaire, pour l'affaire Bolo Pacha et celle du
Bonnet rouge. Croquis d'audience, pour la première, qu'il publiera sous forme d'album en 1918.
Françoise Gouyou-Beauchamps